L’étalon canadien

Quiconque ayant déjà cherché une donnée économique pour comparer le Québec avec le reste du monde s’est probablement buté à deux problèmes : soit la variable n’existe pas, soit elle existe, mais elle est uniquement comparable avec les provinces canadiennes. C’est ce que je nomme l’étalon canadien.

Nous sommes dépendants des choix méthodologiques de Statistique Canada, qui n’a pas la mission de comparer le Québec avec la planète. Cet état de fait a pour conséquence d’enfermer notre peuple dans un univers mental canadien, nous empêchant de nous concevoir hors de ses limites. Il nous envoie également une image faussée de nous-mêmes. C’est souvent le cas en économie, où nous comparer avec celui qui nous a conquis — et qui a constitutionnalisé sa domination — nous cantonne à jouer le rôle de « province pauvre », alors que demain matin le Québec libre serait un pays riche. Monsieur Parizeau avait bien expliqué ce biais avec la dette du Québec : à l’intérieur du Canada, notre endettement semble problématique alors qu’à l’extérieur, il est enviable.

Pour appuyer mon propos, prenons l’exemple du PIB par habitant. Lorsque nous prenons les données calculées par Statistique Canada, nous pouvons uniquement nous comparer avec les autres provinces. En 2021, avec un montant de 58 642 $CA, le Québec se classe au sixième rang parmi dix; 7 010 $CA sous l’étalon canadien (65 651 $CA). Doit-on conclure que le Québec est pauvre?

Un instant. Maintenant, prenons le même PIB par habitant du Québec, et convertissons-le en dollars internationaux en parité des pouvoirs d’achat ($PPA) afin de nous comparer à un étalon mondial, c’est-à-dire les 193 pays de l’ONU.

Le Québec serait le 25ème plus riche sur 194 pays en 2021. Le Québec, riche ou pauvre? Hors des œillères canadiennes, je répondrais riche. Évidemment, le seul PIB est insuffisant pour trancher, une analyse sérieuse doit être multifactorielle. Cela dit, même le calcul du PIB en $PPA que je viens d’effectuer est incomplet, car j’ai dû utiliser le facteur de conversion canadien pour transformer le PIB québécois en $PPA. Or, le facteur canadien tient compte de l’ensemble de l’économie canadienne, où le coût de la vie est supérieur à celui du Québec. Cette contrainte a pour conséquence de sous-estimer la valeur réelle de l’économie québécoise en $PPA. Mais ni le Canada ni le Québec ne calcule ce facteur de conversion pour nous. Même la comparaison entre les provinces canadiennes est biaisée, car elle ne tient pas compte des prix plus élevés dans plusieurs régions canadiennes, dont celles accros au pétrole.

Un de mes contacts à l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) m’a confirmé qu’il faudrait un investissement initial d’au moins un million $CA pour développer un $PPA propre au Québec. Le budget annuel de l’ISQ est de 40 millions $CA (dont 50 % sont autofinancés). Ce budget est minime lorsque comparé à celui de Statistique Canada qui dépasse les 900 millions $CA (dont 15 % est autofinancé). Des pays beaucoup moins riches que le nôtre ont les moyens de se payer cette donnée, pourquoi pas nous?

Jean-Michel Goulet, économiste M. Sc.
20 mai 2023

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